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jeudi 29 octobre 2009

Ardé, King, Jonathan Manou... Musique et Évangile sur l'île Maurice


Qui, en France, connait Ardé Williams, la chanteuse pop-rock dont la photo figure ci-contre? Bien peu de monde, probablement. Elle dispose par contre d'une certaine notoriété en Afrique du Sud où elle réside, grâce à un premier album qui n'est pas passé totalement inaperçu, mais elle est connue aussi à l'île Maurice où elle est venue faire la promotion de ce disque en 2006. Elle avait même chanté pour l'occasion en duo avec Clarel Betsy, un artiste mauricien compositeur de ségas, aujourd'hui produit par le manager d'Ardé Williams (qui n'est autre qu'un des frères de celle-ci.) Quel est l'intérêt d'évoquer ici cette jeune femme dont le style musical s'apparente à celui d'Avril Lavigne (comparaison évoquée d'ailleurs sur son site officiel www.arde.co.za)? Tout simplement parce que Ardé - né Brigitte Mauvis en 1986 à Johannesburg (Williams est son nom d'épouse) - n'est autre que la fille d'un pasteur qui joua un grand rôle dans l'expansion et surtout dans l'éclatement du pentecôtisme mauricien au cours des années 1970.


Il semble que les Mauvis constituent une vieille famille franco-mauricienne (les Franco-Mauriciens sont les descendants des riches planteurs français restés dans l'île après le passage de celle-ci sous domination britannique en 1810). Comme bon nombre de leurs compatriotes, certains membres de cette famille ont probablement émigré en Afrique du Sud durant la période de décolonisation de l'île (1947-1968), par peur de la prise de pouvoir par la majorité indienne hindouiste (prise de pouvoir qui eut lieu effectivement en 1968 au moment de l'accession à l'indépendance). C'est, semble-t-il, au milieu des années 1970 que Pierre Mauvis, un pasteur issu des Assemblées de Dieu sud-africaines, revient à Maurice, en compagnie de son épouse, Josianne. Pendant une dizaine d'années, il va prêcher un message évangélique s'écartant de celui des ADD, message inspiré par la "troisième vague" charismatique qui commence alors à se répandre dans le monde entier (sur cette "troisième vague" néo-pentecôtiste ou néo-charismatique, je me permets de renvoyer à la présentation claire et précise qu'en donne Sébastien Fath sur son blog, ici). Les prédications de Pierre Mauvis sont à l'origine d'une grande effervescence au sein du pentecôtisme mauricien qui commence à peine son expansion et qui traverse déjà une grave crise. Depuis 1972, en effet, les ADD mauriciennes sont livrées à elles-mêmes, le missionnaire Cizeron et les autres responsables français ayant été priés de quitter l'île. Pour Aimé Cizeron, la raison de cette expulsion tient à la désapprobation des autorités  devant les succès obtenus par la Mission Salut et Guérison en milieu hindou - telle est, en tout cas, l'explication qu'il avance dans son ouvrage autobiographique. Par la force des choses, des convertis mauriciens ont été obligés, dans la précipitation, d'accéder aux responsabilités dans l'Eglise naissante, Lindsay Nutcombe Blackburn prenant, encore jusqu'à aujourd'hui, la tête du mouvement.


Dans ce contexte, l'impact des prédications de Pierre Mauvis aboutit rapidement à l'apparition de dissidences issues des ADD, la plus importante d'entre elles donnant naissance à l'Eglise "La Voix de la Délivrance", aussi connue sous le nom de Full Gospel Church of God (Eglise de Dieu du Plein Evangile), car affiliée à la Full Gospel Church of God in Southern Africa, elle-même en lien avec la Church of God de Cleveland aux Etats-Unis. Ce fut le début de la pluralisation du paysage pentecôtiste-charismatique mauricien jusque-là monolithique, pluralisation qui s'est accéléré au cours des décennies suivantes. L'effervescence provoquée par P. Mauvis eut même des répercussions sur l'île de la Réunion par l'influence exercée par ce Réveil mauricien sur les pasteurs responsables des premières scissions en 1983-84 au sein de la Mission Salut et Guérison réunionnaise "maintenue" jusque-là de façon rigoureuse dans la ligne doctrinale des ADD par Aimé Cizeron.


Les Mauvis quittèrent l'île Maurice en 1996 avec leurs quatre enfants, dont Brigitte, la plus jeune, alors âgée de 10 ans, pour s'installer définitivement en Afrique du Sud. Des trois aînés - trois frères - un seul, Marc, a repris le "flambeau" paternel. Il est aujourd'hui prédicateur évangéliste dans une Eglise de Knoxville (Tennessee) : la Christian Family Church (CFC), implantation aux Etats Unis d'une dénomination "néo-pentecôtiste" créée en 1979 en Afrique du Sud par Théo et Beverly Wolmarans. Mais les autres enfants : Jean-Pierre, Bertrand (le manager d'Ardé) et Brigitte "Ardé" n'ont pas  pour autant rejeté l'héritage évangélique familial, comme en témoigne les liens sur leurs myspace et facebook pointant vers la CFC, notamment vers la CFC mauricienne, créée en 1999 sous le nom de Soteria Family Church1.


Pour autant, et même si le passé familial mauricien d'Ardé fut évoqué plus ou moins en détail dans les journaux locaux à l'occasion du voyage promotionnel de la jeune chanteuse, celle-ci n'a pas cherché à se revendiquer  comme représentante d'un courant rock "chrétien". A l'inverse, l'interprète de la chanson élue "chanson de l'année 2005" à Maurice est bien connu - et se présente lui-même clairement - comme "évangélique" . Et les paroles de toutes ses compositions, y compris de celle intitulée "Let Me Fly" ayant rencontré le plus grand succès, expriment une foi "chrétienne" (évangélique) sans ambiguité. L'artiste, Jenkins Kheejoo, un "born again" Mauricien d'origine indienne connu sous le nom de "King" raconte d'ailleurs volontiers dans les médias la conversion qui, à l'âge de 17 ans, lui permit de changer de vie et de laisser derrière lui drogue et violence.



Chanteur de gospel à l'origine, avec son groupe "Louanges de îles" composé uniquement de jeunes évangéliques comme lui, il s'est assuré un succès national avec une musique plutôt dansante, influencée par l'électropop et le ragga, obtenant un audience dépassant largement la population protestante évangélique de l'île  (une grande majorité des 8,6%  de Chrétiens non-catholiques - principalement, selon mes estimations, pentecôtistes ou "néo-pentecôtistes" - recensés par le gouvernement en 2000) ou même la population chrétienne dans son ensemble (32,2% en 2000, dont 23.6% de Catholiques).

Son succès permet la diffusion dans l'ensemble de la population mauricienne, notamment hindouiste, de thèmes chrétiens. Il encourage également d'autres artistes à ne pas rester confinés dans les réseaux de diffusion évangéliques. C'est le cas de Jonathan Manou, un jeune Mauricien des Assemblées de Dieu, qui vit aujourd'hui en France, tout en se produisant en concert dans les Mascareignes (Maurice, Réunion). Jonathan Manou a été à l'origine de l'organisation d'un Festival Gospel en 2009 au Swami Vivekenanda Convention Centre de Pailles où se produisit entre autres une troupe de théatre des ADD mauriciennes. Des personnalités du gouvernement mauricien étaient présentes, ainsi que le président des ADD, le révérend Blackburn, qui fit même une intervention à l'entracte (http://www.jonathan-manou.com/presse.php).

Illustrations : Ardé Williams (en provenance du site www.arde.co.za); Jenkins Kheejoo (King)  (en provenance du site www.lemauricien.org); The Gospel Festival 2009  (en provenance du site www.festival-gospel.com).


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1. Rien d'étonnant à ce que les Mauvis, y compris Ardé elle-même, se soient clairement prononcés en faveur de Sarah Palin, la co-listière évangélique charismatique de McCain aux dernières élections américaines.

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