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mercredi 17 février 2010

Les débuts du Renouveau Charismatique à l'île Maurice

Le texte suivant, que l'auteur, Valérie Aubourg, doctorante à l'Université de la Réunion, m'a très aimablement autorisé à publier sur mon blog, présente un grand intérêt à mes yeux. Non seulement il expose, comme le titre l'indique, les débuts du Renouveau Charismatique sur l'île Maurice avec le témoignage d'acteurs de l'époque très impliqués comme Odile Gallet ou Mgr Piat, l'actuel évêque de Port-Louis, mais, en outre, il éclaire les origines d'Eglises néopentecôtistes évangéliques comme le Centre Chrétien de Miki Hardy, apportant ainsi d'utiles compléments, et même une nouvelle perspective, aux articles proposés précédemment sur ce blog. Notamment quant au rôle primordial du prédicateur Pierre Mauvis - présenté ici du point de vue des informateurs cité plus haut - mais aussi quant à la façon dont le Renouveau Charismatique a été accepté, et même favorisé, à la fin de cette décennie 1970 au sein de l'Eglise catholique locale,




Les débuts du Renouveau Charismatique catholique à l’île Maurice


Par Valérie AUBOURG (Université de La Réunion)



En 1975 une mauricienne prénommée « Sœur Anunciata », religieuse des « Lorettes », se rend au premier rassemblement international du Renouveau catholique de Pentecôte à Rome1. A son retour, elle fonde le Renouveau Charismatique catholique à l’île Maurice en initiant un premier groupe de prière. Ses membres se réunissent au couvent des sœurs de Notre-Dame-de-Lorette à Curepipe. Au départ, le groupe rassemble des Mauriciens issus de toutes les catégories sociales et de toutes les origines ethno-cuturelles, bourgeois « blancs » compris3.

En février 1976, le Sud-africain Pierre Mauvis4, rejoint le groupe. Ancien pasteur des Assemblées de Dieu sud-africaines, il tait son appartenance confessionnelle aux membres du Renouveau Catholique. « Tout le monde croyait qu’il était catholique, se souvient Odile Gallet5, d’ailleurs les gens ne l’auraient pas accueilli s’ils ne l’avaient pas cru catholique…»6 Mais progressivement, l’homme se révèle iconoclaste : « Il a commencé à demander au malades qu’il visitait à l’hôpital d’arracher les croix qu’ils portaient au cou »7 explique Monseigneur Piat. « Au début il était respectueux mais peu à peu, il nous a dit de ne pas prier Marie, que nous n’avions pas besoin des médailles et des sacrements »8 rajoute Odile Gallet. Cette dernière, accompagnée par la Sœur Anunciata, se rend alors à l’évêché afin d’informer Monseigneur Margeot des pratiques de Pierre Mauvis. Il s’en suit une mise au point entre les deux hommes, le premier donnant au second des consignes strictes quant au respect des us et coutumes catholiques.

Le Sud-africain continue à s’investir dans le groupe de prière du couvent de Lorette avant de faire à nouveau preuve d’insubordination. « Le père Sullivan, qui avait entre temps pris ses fonctions de curé de la paroisse Sainte Thérèse9, était venu faire un enseignement au sein du Groupe de Prière. Il avait à peine terminé que Mauvis démolissait tout ce qu’il venait de dire » se souvient Odile Gallet. Les responsables du Renouveau se rendent alors une seconde fois auprès de l’Evêque10 http://www.lematinal.com/files.php?file=jean_margeot.jpget celui-ci interdit à Pierre Mauvis de poursuivre ses activités au sein du groupe de prière. Le prélat prend sa plume et demande à ce que sa lettre soit lue en chaire dans toutes les paroisses insulaires. Le message est clair : il somme chacun de choisir entre l’Eglise catholique et Pierre Mauvis. Le mercredi qui suit, Pierre Mauvis se rend dans le groupe de prière et affiche ouvertement son identité protestante. Il invite tous les membres de l’assemblée souhaitant continuer à prier avec lui à le suivre. Plus de 480 personnes partent à sa suite, elles ne seront que 13 à rester. Le pasteur pentecôtiste11 s’installe à proximité du couvent et loue un grand bâtiment aux « Arcades Salafa » de Curepipe12. Parmi les « disciples » qui quittèrent à sa suite le Renouveau catholique, on notera la présence d’Audrey Hardy dont l’époux, Miky, sera amené à jouer un rôle important dans la pluralisation du paysage pentecôtiste-charismatique en créant le Centre Chrétien au début des années 1980.

Photographie ci-dessus : Mgr Margéot (1916-2009), premier Mauricien évêque du diocèse de Port-Louis, de 1969 à 1993.

Suite à ses déboires avec le groupe de prière de Curepipe, l’Eglise catholique s’attèle à la question du Renouveau. Afin d’éviter d’autres « dérives » pentecôtistes, elle demande au dominicain français Jean Claude Sagne13 de venir les conseiller. Ne pouvant s’y rendre, c’est un père jésuite de Tananarive, Etienne Pillain, qui passera le mois d’août 1977 à l’île Maurice afin d’expliquer aux prêtres et aux fidèles comment accueillir le Renouveau sans abandonner le catholicisme.

De son côté, Monseigneur Margéot se rend en Belgique pour y rencontrer le Père Ralph Martin, responsable International Renouveau Charismatique Catholique et le Cardinal Suenens14. Ses interlocuteurs répondent à son questionnement en une affirmation pleine de clarté : « il vous faut un Renouveau catholique fort !». Acquis à la conviction de ses hôtes, Jean Margéot poursuit son voyage, destination Paris, afin de rencontrer Pierre Goursathttp://www.laprocure.com/cache/couvertures/9782915313789.jpg, le fondateur de la communauté de l’Emmanuel. Ce dernier s'étonne de la visite du prélat15. En effet, en ces débuts du Renouveau charismatique français l’homme est davantage habitué à la méfiance du clergé. C’est ainsi que Jean Margéot fut le premier évêque à monter sur sa péniche !

Photographie : Pierre Goursat (1914-1991) fondateur de la communauté charismatique catholique de l'Emmanuel.

La visite est concluante et l’Emmanuel envoie Charles-Eric Hauguel16 avec plusieurs autres de ses membres17afin de structurer le Renouveau mauricien. La communauté de l’Emmanuel (française) forme les fidèles du Renouveau local et dispense ses conseils en matière d’organisation de la mouvance ecclésiale. Mais, quelques temps plus tard, Pierre Goursat, cherchant à structurer sa Communauté et désirant pouvoir incardiner ses prêtres dans le Diocèse de Port-Louis, demande à Mgr Margéot d’être le répondant canonique de la Communauté Emmanuel. Il lui propose en échange d’envoyer plusieurs prêtres de la Communauté travailler dans son diocèse de l’Océan Indien. Mgr Margéot sera tenté d’accepter, mais après avoir pris conseil auprès de plusieurs ecclésiastiques à Paris19, il décline donc l’offre de Pierre Goursat. Néanmoins, ce conflit n’entache pas son aspiration à favoriser le Renouveau charismatique local. C’est ainsi que durant tout son épiscopat, il s’attachera à soutenir cette mouvance dans son diocèse. Dans la continuité des deux lettres pastorales qu’il rédigea dans les années 1970, l’évêque mauricien restera convaincu du bien-fondé du Renouveau catholique.


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1. Ce congrès rassemble 10 000 participants en provenance de plus de soixante pays. A cette occasion, le pape Paul VI posa cette question qui restera dans les annales du Renouveau : « Comment ce Renouveau ne pourrait-il pas être une « chance » pour l’Eglise et pour le monde ? Et comment, en ce cas, ne pas prendre tous les moyens pour qu’il demeure ? » En qualifiant le Renouveau de chance, non seulement le pape lui offrait la légitimité qu’il espérait mais il encourageait alors le développement de ce « nouveau printemps pour l’Eglise. »
2. Franco-Mauriciens, descendants de colons.
3. A l’heure actuelle, cette catégorie ethno-culturelle a délaissé les bancs du Renouveau charismatique catholique qui comprend essentiellement des fidèles parmi les « gens de couleur » : Créoles d’origine afro-malgache.
4. Selon Bernard Boutter, « Il semble que les Mauvis constituent une vieille famille franco-mauricienne (les Franco-Mauriciens sont les descendants des riches planteurs français restés dans l'île après le passage de celle-ci sous domination britannique en 1810). Comme bon nombre de leurs compatriotes, certains membres de cette famille ont probablement émigré en Afrique du Sud durant la période de décolonisation de l'île (1947-1968), par peur de la prise de pouvoir par la majorité indienne hindouiste. », voir ici.
5. Odile Gallet fut membre du groupe de prière à partir de janvier 1977 puis nommée responsable du groupe par l’évêque en 1978.
6. Souillac, entretien du 31.07. 2009
7. Beau-Bassin, conversation du 13.11.2009
8. Souillac, le 31.07. 2009
9. Le couvent de Lorette jouxte l’église de la paroisse Sainte Thérèse
10. En 1977, l’évêque Margéot n’avait pas encore été « élevé à la dignité cardinalice ».
11. Mauvis était pasteur des Assemblées de Dieu sud-africaines. Néanmoins, le message qu’il délivre à Maurice s’inspire principalement du pentecôtisme nouvelle vague aussi qualifié de « néo-pentecôtisme ».
12. En 1996, Pierre Mauvis et sa famille quittèrent l'île Maurice pour s'installer définitivement en Afrique du Sud.
13. Jean Claude Sagne, prêtre de la mouvance charismatique française, joua un rôle important dans le Renouveau à la Réunion. En aout 1997, il venait de passer un mois sur l’île sœur afin de soutenir le groupe de prière de la Trinité, lorsque les catholiques mauriciens firent appel à lui.
14. L'archevêque de Malines-Bruxelles était très favorable au Renouveau Charismatique.
15. La péniche du Mont Thabor, amarrée en bord de Seine à Neuilly, est le siège de l'Emmanuel. C’est là que Pierre Goursat (1914 à 1991) vivait.
16. C’est à la suite de cet appel de Mgr Margeot à Maurice que Charles-Eric Hauguel se rendra sur l’île de la Réunion où il fera part de ses conseils auprès de Mgr Aubry au sujet du Renouveau réunionnais.
17. On notera parmi les membres de la communauté nouvelle française envoyé à Maurice, l’actuel évêque de Toulon, Dominique Rey, qui n’était alors que séminariste.
18. Mgr Margéot prend notamment rendez-vous avec l’archevêque de Paris : Mgr Jean-Marie Lustiger.

jeudi 11 février 2010

Une megachurch baptiste à l'avenue du Maine (Paris)?

Tel est le titre d'une note découverte tout récemment au hasard de mes errances sur la Toile.




Publiée le 06 septembre 2009 sur le site de la Société d'Histoire et de Documentation Baptistes de France (SHDBF), elle mentionne le projet tout à fait incroyable d'un immense "Centre Chrétien" baptiste au coeur de Paris (avec librairie, piscine et même un jardin d'enfants sur le toit)... dans les années 1920! En témoignent quatre planches, proposées en téléchargement, du projet immobilier de l'époque, finalement abandonné. A découvrir ici, sur le site de la SHDBF. Etonnant!

mercredi 3 février 2010

Néocolonialisme et racisme télévisuels

Insupportable, le formatage des esprits effectué actuellement sur TF1 dans un programme, "La ferme aux célébrités", consternant de vulgarité et de "beauferie", charriant tous les pires stéréotypes sur le continent africain. C'est ce que dénonce à juste titre un article de Rue89, qui qualifie le programme en question de "télé banania", alors que le site d'Arrêt sur Images, lui, se pose la question de savoir si TF1 "réinvente Tintin au Congo?", tout comme Jeune Afrique qui dénonce les mêmes "clichés éculés" non sans une certaine lassitude (voir ici).

Eh non, malheureusement, tous ces relents de néo-colonialisme sont loin d'avoir disparu de nos jours. Qu'on se souvienne de la résurgence au milieu des années 1990 pour la France (dans un "safari-parc" de la région nantaise) et dans les années 2000 en Belgique et en Allemagne1 (voir ici) des tristement célèbres "zoos humains" qui, une centaine d'années plus tôt, ont largement contribué à la contruction de cet imaginaire occidental raciste. Voir notamment sur le sujet l'ouvrage collectif publié en 2002 aux Editions La découverte (réédité en 2004) sous la direction de Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Gilles Boetsch, Eric Deroo et Sandrine Lemaire:


La référence est loin d'être fortuite, car pour les auteurs du livre en question, les reality shows actuels ne sont autres qu'une version actualisée, télévisuelle, de ces "zoos humains" dans nos sociétés occidentales modernes. La "ferme aux célébrités", par ce qu'elle donne à voir, tout autant qu'à entendre, s'avère ainsi le parfait exemple de télé-poubelle où toute dignité humaine est allègrement bafouée.

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1. "Les zoos humains sont-ils de retour?" Article d'Olivier Barlet et Pascal Blanchard paru dans Le Monde du 27 juin 2005.